Transplantation hépatique – Seconde partie

La greffe solidaire

Devant ce bilan à la fois positif (les progrès de la greffe et des immunosuppresseurs, les nouvelles molécules anti-VHC etc.) et négatif (la pénurie récurrente de greffons, le moins bon taux de survie des co-infectés), les membres du TRT-5 et du CHV veulent soutenir deux idées : la révision du score MELD, qui défavoriserait les co-infectés et la possibilité de pouvoir faire des greffes entre séropositifs, c’est-à-dire pouvoir prélever des organes sur des personnes séropositives décédées (et consentantes avant leur mort) et pouvoir les greffer à d’autres séropositifs ayant besoin d’une greffe (rénale, hépatique..)

Réviser les scores pour la greffe en co-infection

Pour les cirrhoses décompensées, la greffe est proposée aux patients les plus sévères, qui sont à risque de décès dans l’année. L’évaluation de la gravité de la maladie est faite en utilisant le score MELD (Model for End-Stage Liver Disease), qui est calculé par un logarithme à partir de trois valeurs biologiques : la bilirubine, la créatinine et un indicateur de la coagulation sanguine. Le score va de 5 à 40 (40 étant le score le plus grave). Ce score « prédit » en quelque sorte le taux de survie à trois mois des patients cirrhotiques et il est utilisé dans les critères d’attribution des greffons en France depuis mars 2007. Seuls les malades ayant un score de MELD supérieur ou égal à 18 peuvent accéder à une greffe de foie. Pour les cancers qui surviennent le plus souvent chez des patients en cirrhose mais encore compensée, un score spécifique a été développé en France car le score MELD et les critères stricts les défavorisaient. Ce score AFP (alpha-foeto-protéine) est pris en compte depuis 2013 pour l’inscription des patients atteints d’un cancer sur la liste d’attente de greffe. Ce score tient compte de la taille du plus gros nodule, du nombre de nodules, et du taux d’AFP au moment de l’inscription car ce taux « prédit » la récidive du cancer après la greffe et cela permet d’identifier les malades ayant un faible risque de récidive.

Faut-il réviser les scores, peut-être inadaptés pour la greffe des co-infectés VIH-VHC ? Le score MELD est utilisé aussi pour les co-infectés, mais il ne tient pas compte de leurs spécificités. Peut être faut-il développer également un score spécifique à la co-infection, car ce score n’octroie pas assez de points pour un accès à la greffe en regard de la vitesse accélérée de la maladie chez ces patients. Les spécialistes de la greffe en co-infection pensent également que le score MELD, ainsi que les critères stricts du cancer ne sont pas adaptés pour les co-infectés, mais encore faut il le prouver ! Pour arriver à prouver ce fait, les médecins de Paul Brousse ont créé un observatoire national, coordonné par le Pr JC Duclos-Vallée, réparti sur 50 centres d’Infectiologie et d’Hépatologie, et incluant les co-infectés ayant une première décompensation de la cirrhose ou un cancer. Cette étude PRETHEVIC est soutenue par l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le sSida et les Hépatites Virales) et doit inclure 100 patients. Chez les co-infectés, il peut survenir une récidive très précoce du cancer après la greffe et la vitesse de la croissance tumorale pré-greffe pourrait être un indicateur fiable. Le but de l’observatoire est d’établir de meilleurs indicateurs pour déterminer le moment optimal pour la greffe, et il donnera ses premiers  résultats en 2015.

Obtenir une dérogation pour greffer des organes des séropositifs

Le TRT-5 et le CHV veulent obtenir une dérogation sur les organes des séropositifs, comme celles qui existent déjà pour les organes des personnes avec une hépatite B ou une hépatite C, qui peuvent être utilisés pour des personnes de la même sérologie et en attente de greffe. Dans le cas du VIH, ces organes ne seraient donnés qu’à des séropositifs, ce qui permettrait de greffer les co-infectés VHC et VHB plus tôt pour les greffes hépatiques et les séropositifs plus tôt pour les reins.

Une estimation de 2009 évalue le nombre de décès de séropositifs en France à 1700/an, dont environ 30% de décès par cancers et 30% par complications infectieuses. En enlevant ces causes de décès, il reste encore beaucoup de décès qui pourraient donner lieu à des greffes solidaires…

Avec le VIH, nous ne pouvons donner ni sang, ni moelle osseuse, ni sperme, ni ovocytes, ni organes. Cette dérogation serait à la fois solidaire et bénéfique pour tous, car elle libèrerait de précieuses places sur la liste d’attente. Et comme les PVVIH sont censés être tous sous traitement efficace, la question de la surinfection n’est plus vraiment un argument plausible, si le donneur et le receveur ont des charges virales indétectables.

Il faut, bien sûr, que les donneurs ne se soient pas opposés de leur vivant et que les receveurs acceptent un foie ou un rein VIH+. Les arguments négatifs sont surtout médicaux : le vieillissement accéléré, les antécédents cardio-vasculaires qui altéreraient les vaisseaux, la toxicité rénale du ténofovir (Viread, Truvada, Atripla, Eviplera). Pour le vieillissement accéléré des séropositifs, il est estimé à environ 10 ans de plus que l’âge, surtout pour les « vieux séropositifs », ceux qui ont eu des taux de CD4 très bas, les premiers antirétroviraux, plus toxiques et certains donnant une toxicité mitochondriale, qui ne sont plus donnés aujourd’hui. En ne prenant pas certaines personnes (séropositifs de très longue date, CD4 très bas dans le passé et ARV anciens) et en rajoutant entre 5 et 10 ans à l’âge physiologique du donneur (selon son parcours), cela reviendrait au même que de greffer un foie d’une personne de 65 ans, ce qui n’est pas rare de nos jours, vu la pénurie…

Comme le temps est compté dans la greffe, il faut aussi pouvoir trouver très rapidement les antécédents médicaux de la personne décédée pour que la greffe soit optimisée. Tous les grands hôpitaux utilisent Nadis ou Diamant, des registres informatisés contenant toutes les données, censées être à jour et actualisées tous les 6 mois lors des bilans. En les consultant, il est facile de voir les charges virales, quels ARV ont été prescrits, si la personne était co-infectée, avait des problèmes cardio-vasculaires, quel était son état rénal etc. Et, bien sûr, si elle était d’accord pour le don.

Aux  Etats-Unis, où la pénurie de greffons est 5 fois pire que la nôtre, des sénateurs ont proposé depuis trois ans un changement de la loi à ce sujet. En juillet 2013, un projet de loi portant sur l’autorisation de transplanter des patients VIH+ avec des organes prélevés sur des personnes décédées VIH+ a été approuvé par le Congrès et la loi va sûrement changer.

Une étude très détaillée « Estimating the Potential Pool of HIV-Infected Deceased Organ Donors in the United States » a été publiée en Février 2011 dans American journal of Transplantation. L’étude détaille les nombres et causes de décès, les critères acceptables ou non pour la possibilité du don d’organes. Le nombre de décès de séropositifs par année aux USA est estimé à 15800 (entre 14110-17082) et en enlevant tous les décès par cancers, maladies infectieuses, défaillances multi-viscérales, cirrhoses et maladies rénales et en prenant les causes de décès compatibles (traumatisme crânien, hémorragie intracrânienne, AVC ou overdose), l’estimation donne environ 550 décédés par année qui pourraient «donner» leurs organes. Les critères choisis pour les donneurs d’organes VIH+ sont : l’âge (moins de 70 ans), le taux de CD4 au dessus de 200, la charge virale inférieure à 400 copies et pas de maladie classant sida dans l’année précédant la mort. Des critères très larges donc, qui, parions le, seront plus stricts en France, aussi bien sur l’âge que sur la maladie à VIH car la greffe pour VHC ne donne pas de bons résultats avec des foies « âgés ». En 2008, en Afrique du Sud, où les séropositifs sont encore exclus des listes de greffes, 4 malades ont été greffés avec des reins provenant de deux donneurs VIH+ décédés, et se portaient très bien plus d’un an après.

Cette dérogation de dons d’organes VIH+ permettrait de pouvoir greffer plus tôt les séropositifs pour le foie et les reins, d’éviter une partie des 30% de décès sur la liste d’attente, d’avoir peut-être de meilleurs résultats en terme de survie des patients co-infectés greffés, d’augmenter le pool de greffons et de libérer des places sur la liste. Un sondage anonyme a été mis sur nos sites (TRT-5, CHV, sites des associations membres), pour évaluer l’acceptabilité de ce projet par les personnes vivant avec le VIH, merci d’y répondre, une seule fois. Avec les résultats, le TRT-5 et le CHV pourront ensuite demander à l’Agence de la Biomédecine un protocole dérogatoire. Si le don d’organes dans le cadre du VIH devenait légal, il sera utile d’en parler à votre famille, pour éviter leur refus, et il est intéressant d’évoquer le sujet aux repas de famille, pour connaitre l’avis des membres sur le don d’organes en général et leur choix en cas de décès.

Le Code Civil dit que la solidarité ne se présume pas, mais nous pouvons l’appliquer de façon active, par ce don virtuel de nos organes, un don communautaire.

Marianne L’Hénaff

Remerciements au Pr GP. Pageaux et au Pr JC. Duclos-Vallée pour la relecture de cet article.

Sondage destiné aux personnes vivant le VIH :

http://www.trt-5.org/article410.html