EASL -22 au 26 avril 2015 –Vienne
L’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales) a activement participé à la conférence scientifique européenne EASL (Congrès de l’Association européenne pour l’étude du foie) qui s’est déroulée à Vienne, fin avril 2015. Les résultats sur les nouveaux traitements anti-VHC, issus des cohortes ont été présentés et ils représentent les « premières données d’efficacité en vie réelle ».
Les antiviraux à action directe (AAD) – des médicaments comme Sovaldi, Olysio, Daklinza, Harvoni, Exviera, Viekirax – ont révolutionné la prise en charge des patients atteints par l’hépatite C. a l’heure actuelle, les données sur l’efficacité, la tolérance de ces nouveaux traitements proviennent principalement d’essais thérapeutiques de l’industrie pharmaceutique, réalisés sur des effectifs de patients parfois peu importants et avec des patients triés sur le volet, avec peu ou pas de cirrhose. Avec la mise en place des cohortes, de plus en plus de données en vie réelle sur un grand nombre de patients, avec une cirrhose avancée, voire transplantés et pendant une durée de suivi plus longue sont désormais disponibles. Ce sont les premiers résultats des cohortes qui ont été présentés lors du 50ème congrès de l’Association européenne pour l’étude du foie (EASL) qui s’est déroulé à Vienne du 22 au 26 avril.
Ils sont tirés de deux grandes cohortes françaises, ANRS CO22 Hepather et ANRS CO23 Cupilt, mises en place par l’ANRS, et portent sur les données d’efficacité en vie réelle de trois AAD : le sofosbuvir (Sovaldi) associé ou non au daclatasvir (Daklinza) ou au siméprevir (Olysio). Les cohortes ANRS-Hepather et ANRS-Cupilt montrent d’une part que la combinaison de ces deux molécules est efficace chez les personnes avec une hépatite C chronique de génotype 1 ou 4 et d’autre part qu’il est possible de guérir l’infection virale C chez les personnes les plus gravement atteintes, les personnes ayant eu une transplantation hépatique et présentant une réinfection de leur greffon.
ANRS Hepather : confirmation en vie réelle de l’efficacité de nouveaux traitements
La cohorte ANRS Hepather a été lancée mi-2013. Elle est la plus grande cohorte au monde sur les hépatites virales avec, en mai 2015, plus de 17 000 personnes atteintes d’une hépatite chronique B ou C incluses. Parmi les personnes infectées par le VHC, près de 3 500 ont été ou sont traitées par des antiviraux à action directe (AAD). Une série d’analyses des données a été réalisée pour déterminer l’efficacité d’une combinaison de deux AAD pour laquelle on ne dispose pas de données en vie réelle.
Au total, 409 personnes infectées par le VHC de génotype 1 ont été incluses dans l’analyse. Une majorité d’entre elles était en situation difficile : 78 % avaient une cirrhose et 75 % étaient en échec d’un précédent traitement. Ces personnes ont reçu la combinaison sofosbuvir (inhibiteur de la polymérase du VHC) et daclastavir (inhibiteur de la région NS5A du VHC) associée ou non à la ribavirine pendant trois ou six mois. Le professeur Stanislas Pol (Hôpital Cochin, AP-HP, Inserm UMS20, Institut Pasteur, Paris) a présenté les résultats à la conférence de Vienne.
Pour les personnes ayant une cirrhose recevant seulement la combinaison sofosbuvir + daclatasvir, un traitement de trois mois permet pour 76 % d’entre elles d’avoir une charge virale indétectable quatre semaines après l’arrêt du traitement. Prolonger la durée d’un tel traitement à six mois permet d’élever ce taux à 94 %. Lorsque la ribavirine est ajoutée à la combinaison (sofosbuvir + daclatasvir) le taux de réponse est fortement augmenté : avec trois mois de traitement, 100 % des personnes présentent une réponse virologique soutenue à 4 semaines.
Chez les personnes n’ayant pas de cirrhose, on constate que, quelle que soit la durée du traitement (trois ou six mois) avec ou sans ribavirine, 100 % des personnes présentent une charge virale indétectable 4 semaines après l’arrêt du traitement. Combinée ou non à la ribavirine, l’association sofosbuvir et daclastavir s’avère bien tolérée : seuls 9 % des personnes ont présenté des effets indésirables sérieux, conduisant à un arrêt de traitement chez 3 % d’entre elles. « Grâce à la cohorte ANRS-Hepather, nous avons la confirmation en vie réelle qu’un traitement de 12 semaines est suffisant pour induire une viro-suppression [suppression virale, ndlr] chez la très grande majorité des patients. (….) Pour les patients cirrhotiques, l’ajout de la ribavirine peut s’avérer nécessaire. Si ces données venaient à être confirmées sur une période de suivi plus longue, cela représenterait une avancée très importante pour la prise en charge des patients » selon le professeur Pol.
VHC de génotype 4 : deux bithérapies efficaces
Chez les personnes infectées par le VHC de génotype 4, les nouveaux antiviraux présentent une très bonne efficacité. C’est le résultat de l’analyse des données de 82 personnes sous traitements dont 64 étaient au stade de cirrhose. Ces personnes de la cohorte ANRS-Hepather ont été traitées par les bithérapies sofosbuvir + daclastavir ou sofosbuvir + simeprevir, combinées ou non à la ribavirine. En l’absence de cirrhose, une guérison a été obtenue chez toutes les personnes après trois mois de l’une ou l’autre des bithérapies. La combinaison de celles-ci avec la ribavirine a également permis de guérir toutes les personnes présentant une cirrhose après trois mois de traitement. Même s’ils demandent à être confirmés sur une population plus large de personnes atteintes du VHC, ces résultats sont très encourageants pour les personnes infectées par le VHC de génotype 4.
VHC de génotype 3 : premiers résultats d’efficacité
Jusqu’à présent, les options thérapeutiques étaient limitées pour les personnes infectées par le VHC de génotype 3. Des résultats préliminaires, en partie de la cohorte ANRS-Hepather, portant sur 106 personnes montrent un taux élevé de guérison avec la bithérapie sofosbuvir + daclatasvir, combinée ou non avec la ribavirine. Chez les personnes n’ayant pas de cirrhose, un traitement de trois mois apparaît suffisant. Une durée de traitement prolongée à six mois semble plus bénéfique chez les personnes présentant une cirrhose.
Des taux de guérison élevés avec un régime incluant le sofosbuvir
Le sofosbuvir est l’un des antiviraux à action directe (AAD) anti-VHC les plus prescrits chez les personnes incluses dans la cohorte ANRS-Hepather. Une analyse a été réalisée à partir des données de 619 personnes ayant commencé un traitement associant le sofosbuvir à un ou deux autres médicaments (Peg-Interferon, daclatasvir, simeprevir ou ribavirine). Il s’agissait de personnes traitées en priorité compte tenu de la gravité de leur hépatite. Les résultats confirment la bonne efficacité des associations à base de sofosbuvir, avec des taux de guérison compris entre 77 % et 100 %. Seulement 8,5 % des personnes ont présenté des effets indésirables sérieux et seuls 3 % ont interrompu prématurément leur traitement.
Patients inclus dans Hepather : des différences selon les génotypes
Les personnes porteuses d’une hépatite C chronique de génotype 3 présentent plus souvent une fibrose sévère ou une cirrhose que celles infectées par un VHC d’un autre génotype. C’est ce que confirme l’analyse comparée en fonction du génotype viral de 4 403 personnes incluses dans la cohorte Hepather. Cette analyse indique également que les personnes infectées par les génotypes 3 et 4 sont plus jeunes et sont plus souvent des hommes. Enfin, la proportion de personnes encore jamais traitées pour leur hépatite est plus élevée parmi celles porteuses d’un génotype 2 ou 5.
Co-infections B et C : priorité à l’hépatite C
Chez les personnes infectées à la fois par les virus de l’hépatite B et de l’hépatite C, la priorité est de traiter l’hépatite C. La co-infection par le VHC a, en effet, un impact défavorable sur l’évolution de la fibrose tout en réduisant la réplication virale du VHB. A l’inverse, la co-infection par le VHB n’apparaît pas avoir d’influence sur la sévérité de l’hépatite C. Ces constatations sont issues de la comparaison, au sein de la cohorte ANRS-Hepather, des caractéristiques de 92 personnes co-infectées par le VHC et le VHB à celles de personnes mono-infectées.
ANRS Cupilt : efficacité des nouvelles molécules après transplantation hépatique
Les personnes transplantées du foie suite à une infection par le VHC présentent le plus souvent une réinfection de leur greffon. Cette récidive du VHC évolue rapidement vers la fibrose et la cirrhose et constitue la première cause de mortalité chez ces personnes. Parvenir à traiter efficacement et rapidement cette récidive constitue un enjeu majeur pour leur survie.
La cohorte ANRS- Cupilt a été lancée en octobre 2013 par le professeur Georges-Philippe Pageaux (Service d’hépato-gastroentérologie, CHU Saint-Eloi, Montpellier). Elle a pour objectif d’évaluer, en vie réelle, l’efficacité virologique des antiviraux à action directe (AAD), chez ces personnes. L’efficacité et la tolérance de différents traitements à base de sofosbuvir (Sovaldi) ont été évaluées en vie réelle au sein de deux études.
Une première étude présentée par le Dr Audrey Coilly (Hôpital Paul Brousse, AP-HP, Villejuif) a évalué, pour la première fois, les traitements combinant le sofosbuvir (inhibiteur de la polymérase du VHC) et le daclatasvir (inhibiteur de la région NS5A du VHC) avec ou sans ribavirine. A partir de juillet 2013, 256 personnes, transplantées du foie et ayant une récidive de leur hépatite C ont reçu ce traitement pendant trois ou six mois. Les résultats présentés à Vienne se concentrent sur 130 personnes ayant terminé le traitement et dont le délai de suivi est suffisant pour juger de la guérison (12 semaines après la fin du traitement). Pour 48 % d’entre elles, un précédent traitement post-transplantation hépatique avait échoué.
Les résultats présentés concernent 130 patients mono-infectés VHC pour lesquels la donnée de réponse virologique soutenue à la 12e semaine (RVS12) était disponible (hommes : 79 %, âge moyen 59 ± 8 ans [42-83]), avec une récidive de l’infection virale C (G1 107 ; G3 11 ; G4 11 et G5 1). Le délai moyen entre la transplantation et le début du traitement était de 76,2 mois. La durée du traitement était de 24 semaines chez 116 patients. La ribavirine (RBV) était associée à SOF+DVC chez 55 patients (42 %). L’indication du traitement était une récidive sévère de l’infection virale C, incluant 40 patients cirrhotiques et 15 fibroses hépatiques cholestasiantes (1). Soixante deux patients (48 %) étaient en échec après un précédent traitement conduit en post-transplantation. Les taux de RVS étaient impressionnants avec seulement 2 échecs virologiques (RVS12 = 96 %). La RVS était associée à l’amélioration de la fonction hépatique en cours de traitement chez la plupart des patients. Il n’y avait pas de différence de réponse au traitement entre les patients traités ou non par RBV, mais les patients traités par ribavirine semblaient plus sévères. Vingt trois pour cent des patients ont présenté un effet secondaire grave (ESG), avec arrêt prématuré du traitement dans 2 cas dont un décès (lié à un coma diabétique). Un autre patient est décédé d’une récidive de carcinome hépatocellulaire. Les ESG graves les plus fréquents étaient hématologiques. Une anémie (Hb < 10 g/dl) est survenue chez 49 patients, principalement chez les ceux recevant de la ribavirine (58 % vs 9 %). Aucune interaction médicamenteuse avec les immunosuppresseurs, nécessaires après toute transplantation, n’a été rapportée.
La seconde étude, menée par le Pr Jérôme Dumortier (Hospices civils de Lyon, Lyon) et présentée par le Pr Georges-Philippe Pageaux, s’est intéressée aux cas les plus graves de récidive du VHC après une transplantation. Les personnes étaient au stade de fibrose sévère (F3) ou de cirrhose (F4). 65 personnes ont reçu pendant trois ou six mois l’un des quatre schémas thérapeutiques suivant : sofosbuvir+daclatasvir (38 personnes) ; sofosbuvir+daclatasvir+ribavirine (20 personnes) ; sofosbuvir+ribavirine (5 personnes) ; sofosbuvir +ribavirine+Peg-IFNa (2 personnes). Trois mois après l’arrêt du traitement, plus de 95 % des personnes présentent une charge virale indétectable quel que soit le traitement reçu. Des effets indésirables sérieux ont été observés chez 25 % des personnes et 9 personnes recevant de la ribavirine ont dû arrêter leur traitement. Enfin, peu d’interactions avec les immunosuppresseurs ont été constatées.
Ces deux études montrent pour la première fois en vie réelle qu’une guérison de l’infection virale C chez les personnes transplantées du foie présentant une réinfection de leur greffon, situations auparavant très difficiles à traiter, est possible. Avec les nouveaux antiviraux à action directe, plus de 95 % des personnes guérissent de l’infection. Avec un schéma thérapeutique court et simplifié on aboutit à une bonne efficacité, une tolérance globalement satisfaisante et un faible risque d’interactions avec les immunosuppresseurs. La prolongation de la cohorte permettra d’avoir confirmation de ces résultats avec un plus grand nombre de patients.
Premières données d’efficacité chez les personnes co-infectées VIH/VHC transplantées
Pour la première fois, des données sur l’efficacité des traitements à base de sofosbuvir chez des personnes transplantées du foie co-infectées par le VIH et le VHC sont présentées. Les analyses ont porté sur 16 personnes de la cohorte ANRS-Cupilt répondant à ces critères. Il s’agissait de personnes difficiles à soigner car elles avaient une récidive de leur hépatite C et dans certains cas une hépatite fibrosante cholestatique (1). Les résultats montrent une réelle efficacité ainsi qu’une bonne tolérance de ces traitements à base de sofosbuvir. 14 (87 %) personnes sont maintenant guéries avec une charge virale indétectable trois mois après l’arrêt du traitement, une seule personne a connu une reprise du virus à la fin du traitement.
Résultats intermédiaires de l’ATU française chez des patients co-infectés VIH/VHC : Efficacité et tolérance de l’association sofosbuvir + daclatasvir avec ou sans ribavirine
Les résultats intermédiaires de l’ATU française chez 733 patients co-infectés VIH-VHC ont été présentées par le Dr Fontaine (Hôpital Cochin, AP-HP Paris). Parmi eux, 61,9% étaient de sexe masculin, 70% avaient une cirrhose dont 16 % avec une cirrhose décompensée, 80% étaient en échec d’un traitement antérieur, 98% avaient une charge virale VIH indétectable et un taux de CD4 moyen à 591/mm3). Ils ont été traités par sofosbuvir (SOF) + daclatasvir (DCV) ± ribavirine (RBV) pendant 12 (n=142; 19,6 %) ou 24 semaines (n=573; 79,3%). La ribavirine a été ajoutée selon la décision du clinicien chez 98 patients (13,6%). Les taux de réponse virologique soutenue 12 semaines après la fin du traitement (RVS12) étaient disponibles pour 82 patients et de 95 et 97% après 12 et 24 semaines de traitement. Les résultats étaient comparables quel que soit le génotype du VHC (97, 100 et 91% pour les génotypes 1, 3 et 4). Il n’y avait pas de différence significative en termes de RVS12 observée selon la durée de traitement, la présence ou non de la ribavirine. La tolérance était satisfaisante. Au total, l’association SOF/DCV ± RBV s’est avérée efficace chez les patients co-infectés VIH/VHC avec une maladie hépatique sévère (fibrose extensive ou cirrhose compensée ou décompensée). Les résultats finaux sont attendus.
Le virus de l’hépatite C associé à d’autres cancers que celui du foie
Il est actuellement bien établi que l’infection par le virus de l’hépatite C augmente le risque de cancer du foie (carcinome hépato-cellulaire ou CHC). On considère ainsi que 1 à 5 % des patients porteurs du virus décéderont d’une cirrhose ou d’un cancer hépatique.
Le VHC est un virus oncogénique et l’augmentation du risque de cancer chez les patients infectés par le VHC a déjà été rapportée. Les cancers associés au VHC incluent les lymphomes non hodgkinniens, les cancers du rein et de la prostate et les cancers primitifs du foie (CHC).
Le but de l’étude présentée par Nyberg (Californie) était de décrire les taux de cancers dans une cohorte de patients infectés par le VHC comparativement à une population non VHC.
Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée à partir d’une organisation médicale regroupant environ 3 millions de membres du Kaiser Permanente Southern California (ou KPSC Registry). Ce registre recueille les informations sur les cancers diagnostiqués chez tous les membres de l’organisation.
Entre 2008 et 2012, 35 712 patients adultes VHC+ et 5 297 191 patients non VHC ont été inclus. Les patients VHC+ avaient plus souvent une consommation excessive d’alcool, une consommation de tabac, une cirrhose et un diabète. Après ajustement sur la consommation excessive d’alcool, la consommation de tabac et l’IMC, l’augmentation du taux de cancer chez les patients VHC+ vs non VHC restait significative. En cas de consommation excessive d’alcool, de tabac et de diabète, l’effet du VHC sur l’augmentation du taux de cancers était plus modeste qu’en l’absence de ces facteurs.
En conclusion, dans cette étude, le taux de cancer (œsophage, estomac, colo-rectal, pancréas, poumon, rein, myélome, prostate) était significativement augmenté chez les patients infectés par le VHC, par rapport à une cohorte non VHC.
Les auteurs ont alors pu calculer que les patients ayant une hépatite C avaient 2,5 fois plus de risque que les autres d’avoir un cancer quel qu’il soit. Et après exclusion du cancer hépatique, le risque restait multiplié par 2.
Les chercheurs appellent cependant à rendre ces résultats avec précaution du fait de la difficulté à contrôler toutes les variables d’ajustement; de nombreux facteurs pouvant interférer comme le tabagisme, l’alcoolisme, l’obésité ou le diabète.
Marianne L’HENAFF
Mai 2015
(1) : La réinfection du greffon par le VHC survient très fréquemment chez les personnes ayant bénéficié d’une transplantation du foie du fait d’une hépatite C chronique. Cette réinfection est liée à la persistance de la réplication du VHC dans l’organisme. Dans de rares cas (2 % à 10 % des personnes transplantées), elle se traduit par la survenue d’une hépatite fibrosante cholestatique. Cette complication est associée à une détérioration rapide de la fonction hépatique mettant systématiquement en jeu le pronostic vital. Jusqu’à présent, les options thérapeutiques étaient limitées en dehors d’une nouvelle transplantation de foie.