Conséquences et complications de la cirrhose

La cirrhose des hépatites chroniques virales est une affection diffuse du foie associant une fibrose cicatricielle mutilante, la formation de nodules de régénération encombrants et la mort des hépatocytes. L’évolution de la cirrhose peut être très longue et se fait en deux stades. Au 1er stade, la cirrhose compensée n’a pas de retentissement clinique, pas de complications, et peut durer des années (voir article Cirrhose). Son évolution (régression, stabilisation ou aggravation) dépend de l’efficacité des traitements proposés et de certains cofacteurs (alcool, drogues, médicaments aggravant la cirrhose).

Si les défaillances des fonctions du foie s’aggravent, elles engendrent les trois grandes conséquences de la cirrhose, qui vont elles-mêmes générer les complications de la cirrhose signant la décompensation hépatique (stade 2).

Les conséquences de la cirrhose sont l’insuffisance hépatique, l’hypertension portale et un état pré-cancéreux. Le carcinome hépatocellulaire (un des cancers du foie) peut se développer sur un foie remanié par la cirrhose après 15 à 20 ans : on dit ainsi que la cirrhose fait ‘’le lit du cancer’.

Rappel des fonctions du foie

Le foie est le plus gros organe de l’organisme (pesant 1 à 1,5 kg chez l’adulte), comparable à un gigantesque laboratoire filtreur. L’artère hépatique apporte le sang artériel au foie, qui le filtre et le renvoie dans la veine cave inférieure vers le cœur, via la veine porte. Environ un litre et demi de sang traverse le foie à chaque minute. Tout ce qui est digéré et absorbé au niveau des voies intestinales est assimilé, transformé, désintoxiqué, stocké par le foie. Le foie stocke les glucides de l’alimentation sous forme de glycogène et les libère dans l’organisme, selon les besoins, pour maintenir un taux constant de glycémie. Le foie intervient dans la synthèse des acides gras, des triglycérides, des lipoprotéines, du cholestérol, des phospholipides. Il fabrique des protéines (l’albumine, les facteurs de la coagulation) et l’urée (pour se débarrasser des déchets protéiques et de l’ammoniaque), qui est ensuite éliminée par les urines. Le foie stocke le fer pour la fabrication de l’hémoglobine des globules rouges.

La bile produite par le foie, stockée en partie dans la vésicule biliaire, est sécrétée dans les intestins (par le système des canaux biliaires hépatiques). La bile renferme des sels biliaires importants pour la digestion des graisses et l’excrétion des toxines.

L’insuffisance hépatocellulaire ou hépatique (IH)

L’IH est liée à la diminution des hépatocytes et de la circulation du sang dans le foie.

Le foie de plus en plus détruit n’arrive plus à assurer ses multiples fonctions (encadré) Les signes cliniques apparaissent lorsque plus de 75% du foie ne fonctionnent plus.

– les signes cutanés : les angiomes stellaires (taches étoilées sur le thorax, le visage), l’érythrose palmaire (paumes des mains roses), les ongles blancs et striés.

– Les troubles endocriniens : pour l’homme : diminution de la pilosité, atrophie testiculaire, gynécomastie (apparition de seins), impuissance. Pour la femme : aménorrhée (arrêt des règles), stérilité, atrophie mammaire.

– Les syndromes hémorragiques : ecchymoses (bleus), hémorragies des gencives, du nez, purpura. Ils sont dus au déficit de production des facteurs de coagulation par le foie, au manque de plaquettes et à la fragilité vasculaire.

– L’asthénie ou fatigue intense et une diminution des défenses de l’organisme (favorisant les infections)

L’encéphalopathie hépatique : ce sont des manifestations neuro-psychiques liées à l’IH et favorisées par l’hypertension portale. L’encéphalopathie est due en partie à la présence d’ammoniaque dans le sang, provenant de la dégradation des protéines par des bactéries dans le colon. Le foie ne pouvant plus intégrer cet ammoniaque dans le cycle de l’urée pour le neutraliser, ce dernier, avec  d’autres toxines non filtrées par le foie, arrivent donc au cerveau et perturbent son fonctionnement.

L’encéphalopathie évolue en 3 stades de gravité croissante, mais transitoires et variables dans le temps (régression puis récidive).

Le stade 1 : présence d’un signe neurologique, précoce, qu’il faut rechercher : c’est l’astérixis (ou Flapping tremor). Il est du à une interruption transitoire du tonus musculaire : les bras tendus en avant, les doigts relevés et écartés, on observe des mouvements involontaires de flexion extension (tremblements des extrémités en ‘’battements d’ailes de papillon’’).

Le stade 2 : astérixis ++, troubles du comportement, de la conscience (confusion et désorientation), du sommeil (inversion du cycle, dort le jour, pas la nuit), détérioration intellectuelle, foetor hépaticus (odeur douceâtre de ‘’fruit pourri’’ de l’haleine)

Le stade 3 : coma plus ou moins profond, parfois des crises convulsives, hypertonie musculaire (raideur) ou/puis flaccidité, réflexes trop vifs puis au contraire abolis.

L’encéphalopathie est souvent déclenchée et/ou aggravée par une hémorragie digestive, une infection, une constipation sévère, un geste chirurgical pour traiter d’autres symptômes de la cirrhose (voir l’HTP), la prise de sédatifs ou calmants (benzodiazépines++), un repas trop riche en protéines. Quand l’encéphalopathie survient spontanément, elle représente souvent la complication terminale de la cirrhose.

L’ammoniaque n’est pas le seul responsable, on pense aussi à un déséquilibre des neurotransmetteurs (dopamine diminuée et sérotonine augmentée, synthèse de faux neurotransmetteurs). Des laxatifs, antibiotiques, la L-dopa, des sucres non absorbables sont donnés, avec plus ou moins de succès.

L’ictère est dû à l’augmentation du taux de bilirubine conjuguée dans le sang. La bilirubine vient de la dégradation de l’hémoglobine lors de l’opération de recyclage des vieux globules rouges. Dans le plasma, elle est transportée par l’albumine, non conjuguée et insoluble. Elle est captée par l’hépatocyte, conjuguée (pour devenir soluble) et excrétée dans la bile. En cas d’insuffisance hépatique et/ou d’obstacle à l’écoulement biliaire, la bilirubine conjuguée reflue dans le plasma. Cliniquement, l’ictère se traduit par une coloration jaunâtre de la peau et du blanc des yeux, des urines foncées (élimination de la bilirubine par les reins), une décoloration des selles (couleur « mastic » par absence du dérivé de la bilirubine qui est responsable de la coloration des selles) et un prurit parfois intense, dû à l’accumulation des sels biliaires sous la peau.

L’ictère signe une aggravation de l’insuffisance hépatique mais il faut aussi rechercher une lithiase biliaire (calcul), très fréquente en cas de cirrhose et cause d’ictère.

L’hypertension portale (HTP)

L’hypertension portale est responsable des principales complications de la cirrhose. Elle est la cause directe d’hémorragies digestives.

L’hypertension portale est due à la fibrose hépatique qui est comparable à un obstacle réduisant le flux sanguin (les vaisseaux sont ‘’écrasés’’) et augmentant la pression dans la veine porte (gros tronc veineux drainant le sang des viscères). Le sang venant des intestins, de la rate, du pancréas et de l’estomac ne pouvant plus circuler dans le foie, il emprunte des voies de déviation autour et en amont du foie. Ces petits vaisseaux de ‘’délestage’’ se dilatent et deviennent des varices. Il s’agit donc d’un réseau secondaire permettant de contourner l’obstacle. Les varices oesophagiennes sont les plus fréquentes mais on peut avoir aussi des varices gastriques, duodénales, coliques, rectales et une circulation collatérale abdominale sous-cutanée (par reperméabilisation de la veine ombilicale sous l’effet de l’HTP). Un ulcère gastro-duodénal ou une gastropathie congestive peuvent être également source d’hémorragies. La rate augmente de volume à cause de l’HTP, s’emballe, ‘’séquestre’’ les plaquettes (hémorragies), les globules rouges (anémie), les globules blancs (risque d’infections ++). C’est l’hypersplénisme.

L’HTP se mesure par cathétérisme de la veine jugulaire (1). Des méthodes moins invasives d’évaluation de la pression portale sont recherchées. Le Fibrotest® (qui sert déjà à « mesurer » la fibrose hépatique) pourrait être prédictif de l’HTP (2). Les varices oesophagiennes (VO) ou gastriques (VG) ne posent pas de problème particulier à partir du moment où elles ne se rompent pas. La rupture des VO peut être provoquée par des facteurs mécaniques comme les aliments ‘’durs’’ ou par une augmentation trop brutale de la pression à l’intérieur de l’abdomen lors d’un effort physique ou de la constipation par exemple (par augmentation de la pression dans ces varices). Les VO ne saignent que si le gradient de pression dépasse 10-12 mm Hg.

La rupture des varices est une urgence vitale. Les hémorragies par rupture de VO sont la principale cause de décès au cours de la cirrhose. La mortalité liée à l’hémorragie est de 30 à 50% en l’absence de traitement. Les varices sont classées en 3 grades. Leur taille et la présence de signes rouges (points où les parois amincies vont se rompre) sont des facteurs de risque hémorragique, ainsi que la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou d’aspirine (à bannir).

Les symptômes des varices sont l’hématémèse (émission de sang lors de vomissements), le méléna (évacuation de sang dans les selles), le choc hypovolémique (baisse brutale de la tension artérielle par diminution de la quantité de sang dans l’organisme)

Le diagnostic se fait par la fibroscopie oesogastroduodénale (examen effectué à l’aide d’une fibre optique introduite dans la bouche), qui permet de visualiser directement l’œsophage, l’estomac et le duodénum sous perfusion pour rétablir une quantité de sang suffisante. Le traitement pour arrêter l’hémorragie associe souvent (3) des médicaments abaissant l’HTP (des hormones de synthèse, terlipressine, somatostatine) et une technique d’hémostase (sous endoscopie), par ligature des varices (pose d’une bande élastique en spirale) ou par sclérose (en injectant une substance qui modifie la structure de la paroi de la veine). En cas d’échec de ces méthodes, l’obturation par une colle biologique (sorte de ‘’superglue’’) peut être essayée ou un TIPS (4) (prothèse intra-hépatique, sorte de filet plus ou moins rigide)  peut être posé par voie trans-jugulaire, reliant une branche de la veine porte à une veine sus-hépatique. Le TIPS réduit efficacement l’HTP et le risque d’hémorragies. Il est souvent réalisé dans l’attente d’une greffe hépatique, mais sa pose peut déclencher ou aggraver une encéphalopathie hépatique.

Le traitement préventif pour éviter l’hémorragie et ses récidives correspond à la prise à vie d’un bêta bloquant qui diminue le débit du sang, abaisse l’HTP. et doit diminuer la fréquence cardiaque de 25% environ. En cas de contre-indication ou d’intolérance à ces médicaments, la ligature des varices doit être renouvelée toutes les 2 à 3 semaines.

Des laxatifs sont également prescrits contre la constipation.

L’ascite : c’est un liquide jaune citrin, produit en excès qui se loge dans la cavité péritonéale (cavité entre les deux feuillets de la membrane tapissant les viscères et la paroi abdominale). L’ascite résulte d’une cascade de défaillances secondaires à l’insuffisance hépatique et à l’HTP (la rétention d’eau et de sel par les reins à cause de la baisse de l’albumine, et la localisation du liquide dans cette cavité à cause de la pression hydrostatique). L’ascite n’est décelable cliniquement qu’à partir de 2 L environ et peut atteindre les 20 L. Auparavant, on peut détecter une petite ascite par une échographie. Pour éviter l’aggravation de l’ascite, une diminution des apports d’eau et de sel est tentée, puis des diurétiques sont utilisés, avec précaution. Les ponctions évacuatrices d’ascite sont faites en cas d’ascite ‘’tendue’’ occasionnant une gêne respiratoire et/ou si l’association régime désodé/diurétiques ne marche pas. Le liquide est analysé (taux de protéines, de cellules, germes) et son volume mesuré.

Au-delà de 2 L évacués, il existe un risque de choc hypovolémique prévenu par des perfusions avec de l’albumine surtout si la ponction fait plus de 5 L.

L’infection spontanée du liquide d’ascite est une complication fréquente et grave que l’on prévient par des antibiotiques pour éviter les récidives d’infection, en cas d’hémorragies digestives et lorsque le taux de protéines de l’ascite est faible.

L’ascite peut être associée à des oedèmes des membres inférieurs.

Les ascites importantes peuvent provoquer des hernies ombilicales ou inguinales avec rupture de l’ombilic possible.

Le syndrome hépatorénal (SHR) associe une insuffisance rénale fonctionnelle (le rein ne sécrète presque plus d’urines car il ne reçoit pas le sang à une pression suffisante), une baisse du sodium et une ascite irréductible. Il survient à un stade évolué de la cirrhose, spontanément ou provoqué par des complications (hémorragies, infections, ponction d’ascite). Le SHR peut-être aigu et mortel en quinze jours ou d’évolution plus lente, répondant aux médicaments vasoactifs ; avec la pose d’un TIPS, il peut attendre une transplantation.

Les complications pleuropulmonaires de la cirrhose

L’hydrothorax hépatique est un épanchement pleural abondant qui résulte du passage direct de l’ascite de la cavité péritonéale vers la cavité pleurale, au travers de brèches diaphragmatiques spontanées de petite taille, le plus souvent à droite (85% des cas) et il peut s’infecter. L’ascite est le plus souvent réfractaire. Le traitement est un régime désodé, des diurétiques, le TIPS et la transplantation.

Le syndrome hépato-pulmonaire associe une baisse d’oxygène dans le sang et une vasodilatation pulmonaire avec dyspnée d’effort et/ou de repos et une cyanose. Sous oxygène et avec une transplantation, ce syndrome est réversible.

L’hypertension porto pulmonaire : c’est une augmentation de la pression artérielle pulmonaire, aggravée par les bêta-bloquants qu’il faut suspendre dans ce cas.

Le carcinome hépatocellulaire : la cirrhose peut favoriser la survenue de ce cancer primitif du foie. Ce vaste sujet sera traité dans un article ultérieur.

La transplantation hépatique (quand elle est possible) est souvent le seul espoir de survie des porteurs d’hépatites virales arrivés à ce stade de cirrhose décompensée et de son harem de complications. Les traitements des complications sont souvent faits ‘’en attente‘’ d’une greffe. La cirrhose virale C est la première indication de greffe en France et en Europe.

Elle se dépiste !

Les complications de la cirrhose sont souvent associées, intriquées, elles se compliquent elles mêmes, se déstabilisent entre elles, spontanément ou lors des traitements. En voulant soigner une des complications, on en déclenche ou aggrave souvent une autre. Le traitement d’une cirrhose décompensée ressemble à une partie de poker, avec mises énormes, chance ou malchance, bluffs, gains ou pertes. Pour un plombier, la cirrhose peut ressembler à une histoire de chaudière négligée depuis des années, mal ramonée, dont un gros tuyau se bouche, la pression monte, elle fuit, tombe en panne et, mal réparée ou trop tard, finira par exploser et détruira la maison toute entière.

Le ramonage, c’est le dépistage des hépatites, que toute personne devrait effectuer de bon gré, même si elle ne pense pas être ‘’une personne à risques’’.

Il n’est pas rare de nos jours qu’une personne découvre avec stupéfaction à la fois son hépatite virale, sa cirrhose, sa décompensation de cirrhose et sa future transplantation.

Environ 30% des patients porteurs d’une hépatite virale ignorent comment et quand ils ont été contaminés, aucun des facteurs de risque n’est retrouvé.

Les hépatites virales peuvent être traitées avec succès ou du moins, il est possible de limiter leurs dégâts si elles sont découvertes et prises en charge assez tôt. Ce n’est pas au stade de cirrhose décompensée qu’il faut se réveiller. Le dépistage est simple comme une prise de sang et peut sauver la vie du foie qui n’est pas un ingrat.

Marianne L’Hénaff

(1) L’HTP est définie par une augmentation de la pression portale au-delà de 15 mm Hg ou par une élévation du gradient de pression porto-cave au-delà de 5 mm Hg.
(2) Thabut et al, “Diagnostic value of fibrosis biochemical markers for the prediction of portal hypertension in chronic liver disease”. AASLD. Hepatology;10:292A
(différence entre la pression veineuse hépatique bloquée et la pression VH libre)
(3) Conférence de consensus de l’HTP www.angh.org/consensusHTP2004_long.htm
(4) TIPS = transjugular intrahepatic porto-systemic shunt